Je passe les portes automatiques du bâtiment. Je montre vaguement ma carte à la secrétaire avant d'entrer dans les vestiaires. Je m'y change rapidement, fermant mon casier par la suite. J'ai besoin de faire de la musculation, aujourd'hui. Et surtout, j'ai besoin de parler avec Gus. Il faut que je lui parle de quelques chose de très important... et de très bizarre. C'est pour ça que je lui ai demandé de me rejoindre à la salle de muscu. C'est notre endroit de rendez-vous. On s'est rencontré là il y a déjà un bon moment, et c'est là qu'on se retrouve pour discuter, depuis.

   Je referme mon casier et me dirige vers la salle où s'alignent les tapis de courses, et toutes les machines compliquées de musculation. Il y a quelques années, je me serais demandé comment tout ça marche. Maintenant, j'y viens toutes les semaines. Je suis officiellement un pâtissier, et soyons honnête, faire ce travail implique manger du sucre sept jours sur sept. Donc, plutôt que de me laisser plonger dans le surpoids, j'ai décidé de me mettre sérieusement au sport. C'est là que j'ai connu Augustus. On s'est tout de suite entendu ; il a aussi une moto et comme il connaissait Bryan mieux que moi, à l'époque, il m'a aidé à trouver les endroits branchés, les bonnes soirées.

   Je me dirige vers les haltères, dépose ma bouteille à côté, et commence à enfiler les poids sur la barre de fer. Je mets vingt kilos de chaque côté, histoire de commencer en douceur. Je m'étire rapidement et m'allonge. Alors que je vais commencer à soulever les poids, le visage d'Augustus apparait dans mon champ de vision. Je lâche un soupir de frustration - j'étais motivé pour bosser, et de soulagement - j'ai besoin de lui parler, vraiment. Je me redresse et me lève. « Gusgus ! Salut, mec. Comment tu vas ? C'est sympa d'avoir répondu à mon appel de détresse. » Je lâche un rire. Je ne suis pas vraiment désespéré. J'ai juste besoin de l'avis d'un tiers pour cette histoire de dingue. Après tout, je ne suis pas un acteur, moi.

Gus n'était pas en train de faire grand chose lorsqu'il reçut un message d'Adam lui demandant de le rejoindre à la salle de muscu. En fait, il était en pleine séance de matage de tv avec des chips dans les mains, se goinfrant jusqu'à ce que son ventre explose. S'il aimait faire du sport, il aimait beaucoup manger également. Heureusement, l'une arrangeait un peu l'excès de l'autre. Il s'était levé rapidement, laissant toutes les miettes tomber sur son tapis qu'il nettoierait sûrement .. jamais, puis se précipita vers la douche pour ne pas offusquer Adam de son odeur suave et clairement dégoûtante.

Une fois habillé et plein de déodorant, il s'était mis en route. Il avait pris sa bécane adorée pour se rendre jusqu'à la salle de musculation, un endroit qu'il fréquentait pratiquement tous les soirs après le boulot. C'était un de ses endroits préférés depuis qu'il avait seize ans, pour compenser sa petite taille, il avait décidé d'avoir de gros biscotos. Bon évidemment, il n'était pas un culturiste et n'avait pas l'allure d'un monstre avec des muscles qui explosaient de tous les côtés, mais il avait une carrure assez importante et qui plaisait bien aux filles.

Une fois rentré, il slaloma entre les machines pour retrouver Adam qu'il repéra rapidement, prêt à soulever de la fonte. Gus trottina jusqu'au jeune homme et mit sa tête au dessus de lui avec un grand sourire. Un soupir. Ah bah c'est comme ça qu'on m'accueille ? Pensa-t-il. Mais il lui en voulait pas, après tout, s'il l'avait appelé c'était qu'il l'aimait bien. Ils aimaient bien se retrouver entre mecs dès qu'ils pouvaient et parler de trucs .. de mecs. Il lui épargna la remarque sur son surnom qui le vexait un peu, parce que, c'était pas la souris grosse dans cendrillon ? « ça va, je n'ai pas à me plaindre, tu m'as interrompu en pleine séance de glandage. » Il s'assit sur la machine qui était à côté. « et j'en déduis que de ton côté ça va pas fort, je me demande ce que j'ai fait à l'univers pour que tout le monde m'appelle quand ils sont totalement désespérés. » Il lui fit un sourire. « T'inquiète je me plains pas, j'aime bien être le détenteur de tant de secrets. Allez raconte ! »

   Je souris aux répliques d'Augustus et me rassois sur le tapis où j'étais préalablement allongé pour soulever les poids. « T'as une tête de psy, on te l'a jamais dit ? » Je lâche un rire et réfléchis à la manière dont je pourrais tourner ce dont j'avais à lui parler. Je me rallonge sur le tapis, la barre en fer au niveau de ma gorge. Je pose mes mains sur le métal froid. « On ne peut pas dire que je sois vraiment désespéré. Il y a juste... tu te souviens de Belle, ma voisine ? Je t'en ai déjà parlé, je crois... elle m'a demandé de jouer son faux fiancé auprès de ses parents... et... j'ai accepté. Me demande pas pourquoi, j'en sais rien du tout ! » Je soulève la fonte cinq fois, soufflant, puis repose la barre, et tourne la tête vers Gus, toujours les mains accrochées. lâche un rire. « Sérieusement, mais pourquoi j'ai fait ça... Il va falloir que je me comporte comme le fiancé parfait... devant des ricos qui vont bien se foutre de ma gueule de petit pâtissier... Je vais me retrouver en face des sosies de mes parents, ça va être génial ! » Je lâche un grognement de frustration avant de soulever à nouveau cinq fois les haltères... Je raconte tout ça à Augustus... il n'aura probablement aucune idée de ce que je peux bien faire à propos de ça. De toute façon, je ne peux pas dire à Belle que je refuse maintenant... Et puis, il doit bien avoir ses problèmes aussi. C'est bien le problème du fait que je ne sors pas beaucoup... Il est le seul que je connaisse assez pour pouvoir lui confier ce genre de truc... personnel ? Non, ça n'a rien de personnel. On parle de Belle, là.

Il était vrai que Gus avait l'habitude d'écouter les problèmes des autres, mais honnêtement, cela ne le dérangeait pas du tout. Il avait toujours été plus doué à écouter qu'à parler, et tout au long de sa vie, il avait aidé les autres en étant juste là pour eux aux moments où ils en avaient besoin. Apparemment, Adam avait besoin de lui maintenant, et il ne serait pas agacé d'écouter tout ce qui se passait dans sa vie. C'était comme un roman dans la vraie vie au final. Son ami lui raconta sa situation et Augustus ne put s'empêcher de lever un sourcil, c'était vraiment digne d'une série télé. Il ne comprenait pas pourquoi il avait accepté et s'était mis dans une telle position, mais bon, tout le monde était différent. Il l'observait lâcher sa frustration avec ses haltères et attendit qu'il s'arrête avant de lui parler. « Si ça se fait, t'as accepté parce que ça te dérange pas tant que ça de jouer le fiancé .. » dit-il en rigolant. Il ne pensait pas que c'était la réalité mais après tout, une fille avec un nom comme Belle devait forcément être jolie, sinon bonjour l'ironie. Il croisa les bras et prit une grande inspiration. « Peut-être que t'es tout simplement maso, je vois pas d'autre explication. Tu t'es fourré toi même dans une situation impossible alors que tu n'en retires rien .. » Puisqu'Adam en profitait pour faire un peu de sport, Augustus décida d'utiliser la machine sur laquelle il s'était assis au hasard. Il se poussa jusqu'au fond du siège et commença à activer la poulie haute. « Tu l'aimes bien, au moins, cette fille ? »

   Je souris à ce que me dit Gus. Je ne sais pas pourquoi je souris, il n'y a rien qui apporte à sourire. Rien du tout. Je me suis embarqué dans une situation des plus impossible à résoudre... et pourquoi ? Pour... pour rien du tout ! Il a totalement raison, je ne vais rien en gagner de ce jeu idiot. Mais, il a aussi raison que ce n'est pas vraiment le fait de jouer le fiancé qui me gène... non, ça, ça va. C'est surtout que je vais devoir recommencer à jouer l'hypocrite. Comme je l'ai toujours fait avec ma famille et les gens que je côtoyais à l'époque. Il va falloir que je rejoue à l'homme parfait, galant, aimable, cultivé... bla, bla, bla.

Sa question résonne dans ma tête alors que les poulies s'actionnent sur sa machine. C'est quoi cette question... je dois avouer que je ne me la suis jamais posé. Ca ne s'est absolument jamais posé comme interrogation. Est-ce que je l'aime bien... j'en sais rien. Peut-être. Peut-être pas. « Je ne sais pas si je l'aime bien... ouais, elle est sympa, drôle et puis elle est très jolie mais... enfin, je ne l'ai jamais vu autrement que comme ma voisine. Ma petite distraction. » Je m'arrête un moment pour réfléchir, repositionnant mes mains sur la barre en fer, prêt à la soulever cinq fois à nouveau. « Et elle ne doit franchement pas me voir autrement que comme son voisin emmerdant. » Je fais pression sur mes bras pour soulever une nouvelle fois la fonte, tout en soufflant régulièrement puis je repose la barre et retrouve ma respiration. Je tourne la tête vers Augustus. « Ce n'est pas le fait de faire le fiancé qui me gène. C'est le contexte dans lequel ce jeu de rôle va se passer. Chez des riches. Il va falloir que je me plie à leurs convenances que j'ai fuit toute ma putain de vie... » Je lâche un soupir de frustration avant de soulever à nouveau les haltères. Il n'y a aucune issue à ce truc. Il n'y a qu'à espérer que ce jeu ne va pas durer trop longtemps. Après tout, si j'ai bien compris, c'est juste pour une rencontre avec ses parents et un mariage. C'est pas la mort, si ?

Gus était persuadé que Belle lui plaisait, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. En même temps, il ne lui avait pas dit que ce n'était pas le cas. Il leva les yeux au ciel en l'écoutant énoncer ses qualités, bon, elle était parfaite en fait, non ? Ça devait sûrement exister par dizaines ou centaines les histoires des gars qui tombaient amoureux de leur voisine. Il était persuadé que les deux ignoraient juste les sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autre parce qu'ils pensaient tous deux que l'autre ne ressentait pas la même chose. Un cas classique. Il écoutait Adam tout en continuant à soulever ses poids, s'arrêtant après des séries pour se reposer un peu. Son histoire avait l'air assez problématique, Gus savait qu'il aurait pas pu lui même supporter ce genre de chose.

« Ah ben tu lui as dit oui, maintenant tu ne peux plus te retourner. Va falloir supporter sa famille et jouer le gendre idéal » Il lui fit un sourire, en train d'imaginer son ami en costard avec les cheveux plein de gels, la raie sur le côté, le sourire figé. Il avait pas vraiment le look du parfait petit fils de riche, on devait le dire. Il avait plus l'air d'un potentiel punk ou il ne savait pas trop quoi, un rebelle en tout cas. « Peut-être que ça sera pas si insupportable que ça, t'inquiète pas ! Peut-être même que tu vas bien les aimer tes futurs beaux parents » bon, il en doutait, mais il fallait être optimiste. Gus était là pour lui remonter le moral et pas pour le faire descendre six pieds sous terre. Et puis il aimait bien parler de la situation amoureuse de quelqu'un d'autre plutôt que de la sienne qui était compliquée. Pas chaotique mais pas simple non plus. « Et puis je suis sûr que si elle t'a demandé à TOI de jouer son fiancé, c'est qu'elle n'est pas si indifférente à ton charme .. Enfin je veux dire, tu prends pas celui que tu considères comme un frère ou je sais pas quoi pour jouer un tel rôle. » Il poussa un soupir. « Si ça pouvait t'aider je prendrais ta place, mais mon petit doigt me dit que tu deviendrais instantanément bien jaloux en voyant Belle avec quelqu'un d'autre »

   Je soulève mes haltères pendant que Gus parle. Je l'écoute et m'arrête quand il a fini. Je m'assois sur la machine et regarde dans le vide, sourcils froncés. Je réfléchis à tout ce qu'il m'a dit. C'est certain que je ne vais pas pouvoir faire demi-tour maintenant. C'est fait, je n'ai plus aucune solution à mon problème. Qui, quelque part, n'en ai pas un. Ca me fait bien chier de jouer le fiancé parfait, mais ce n'est pas vraiment un problème d'ordre majeure. Mais si, ça va être insupportable. J'ai déjà connu l'ambiance de ces trucs, donc j'y suis habitué, mais ça reste une épreuve digne d'un romain de Tolkien. Comme une quête, en fait, pour arriver à la libération spirituelle à la fin. M'voyez ? Je l'ai faite pendant dix-huit ans cette putain de quête... et ce n'est qu'en traversant l'océan que j'ai réussis à m'en défaire. Et encore, pas tout à fait. Quoi que je fasse, ça reste mes origines et je ne pourrais jamais complètement les effacer.

   Je me lève et ajoute des poids. « Petit un, Gus, le gendre idéal n'existe pas. Sinon, il y aurait une école obligatoire pour tous les hommes à marier. Petit deux, ce ne sont pas mes futurs beaux-parents, commence pas avec ça ; je ne vais pas me découvrir des sentiments enfouis pour Belle et tout le tintouin des films à l'eau de rose. Et petit trois, t'es trop petit. Elle doit te dépasser d'une tête. Ca marchera jamais. » Je lui souris, moqueur. Je sais que je ne serais pas jaloux si elle ramenait un mec. Par contre, je lui en ferais baver au type. Il comprendrait sa douleur. Une fois que j'ai mis plus de poids, je me rallonge et recommence à faire fonctionner les muscles de mes bras. Je vais doucement pour m'habituer au changement de poids. « Pour être franc... je crois que j'ai accepté à cause de ses yeux. Qu'on soit clair, je n'ai aucun sentiment amoureux pour elle... mais elle m'intrigue. Elle m'intrigue vraiment beaucoup. Elle a l'air heureuse mais... j'ai l'impression qu'on a juste à dire un mot, un mot bien précis pour qu'elle fonde en larmes. » J'aurais pu faire psychologue, hein ? Ou alors, c'est juste le côté romantique et spirituel des français.