Bryan. Un immeuble. Ca fait déjà quelques temps que je suis arrivé. Que je suis officiellement américain. Et je vais bien, je vais mieux. Je serais même prêt à dire que je suis heureux. J’ai un appartement confortable, spacieux où mon piano rentre parfaitement. J’ai ma jolie petite carte verte que j’ai eue grâce à mon travail. J’ai donc ce travail. Parfait. Pâtissier dans un grand restaurant, mon rêve depuis que je suis gamin. J’ai tout. Tout ce que j’ai toujours voulu. Je fais mille et mille viennoiseries, gâteaux, sucreries. J’ai tout… sauf du sucre. Je fais mes placards, et je ne trouve rien. Pas un seul paquet de sucre. Pour faire des meringues, ça va être problématique. Et, évidemment, nous sommes dimanche. Je soupire, réfléchissant. Une seule solution. La voisine. Je ne la connais pas. Je l’ai déjà vu, une ou deux fois, mais je ne sais pas comment elle s’appelle. Elle est plutôt jolie. Brune, yeux pétillants. De petite taille. Elle ne m’a pas tapé dans l’œil pour autant. Depuis mon départ de Paris, je ne suis pas très porté sur la recherche de la femme de ma vie, je me concentre sur moi, sur mon travail, et c’est bien suffisant. Je me retrouve devant la porte à la couleur défraichie, le numéro brillant en dessous du judas. Je frappe et, au bout de quelques secondes, la figure courte et agréable de ma voisine apparaît dans l’embrasure de la porte. « Bonjour ? Je peux vous aider ? » Je souris, je ne vais pas faire mon sauvage. Il est mieux d’être en bons termes avec ses voisins. « Bonjour. Je suis votre voisin. On s’est croisé, il y a quelques temps, dans le hall. Bref, je… j’aurais voulu savoir si je pouvais vous emprunter du sucre… s’il vous plait… » Je lui souris, timide. Je ne le suis pas d’habitude. Il faut croire que ça fait longtemps que je ne suis pas sortie avec des femmes depuis bien longtemps, moi. Je compte sur mon accent français pour le charme, j’ai remarqué que ça marchait remarquablement bien. « Oui… je me souviens de vous. Vous êtes français, c’est ça ? Hm… Delorges, c’est ça ? » Je suis un peu étonné qu’elle connaisse mon nom. Enfin, je ne devrais pas. Ce n’est pas un grand immeuble, tout le monde doit se connaître. Et le concierge n’a pas dû y aller de main morte avec les ragots. Je suis étranger, ils aiment ça, les étrangers. « Oui, Adam… Enchanté… » Je lui tends ma main pour la serrer, ce qu’elle fait de sa main gracile et blanche. « Belle. » Je lève les yeux vers elle. Belle ? Sérieusement ? « Prénom intéressant. » Elle ne répond pas, mais je crois voir un petit sourire sur ses lèvres fines. Elle me fait signe d’attendre ici et je la vois disparaître dans son appartement. Je laisse divaguer mon regard sur le mobilier simple mais féminin. C’est bien rangé, elle doit vivre seule… célibataire, sûrement. Elle revient quelques minutes plus tard, avec un paquet de sucre qu’elle me tend. Je l’empoigne avec un sourire, je vais pouvoir finir mes meringues. « Je vous remercie, je vous le revaudrais. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez surtout pas. » Je lui souris, et après qu’elle m’ait dit un dernier mot, je retourne dans mon appartement, finir ma pâtisserie. Belle. Vraiment étrange comme prénom.

Bryan. Mon appartement. « La Bête ! Il faut qu’on parle ! » La porte de mon appartement vient de s’ouvrir et de se refermer rapidement, annonçant l’arrivée de ma très chère voisine. « Bonjour, Belle. Un cookie ? » Je lui tiens le plat que je viens à peine de remplir de ma dernière fournée. J’en prends moi-même un, le fourrant dans ma bouche et me dirigeant vers le canapé où je me laisse tomber. « Adam, tu m’écoutes. Il faut qu’on parle. » Elle se laisse tomber à côté de moi, sur le canapé. Je ne réponds pas, continuant de mâchouiller mon gâteau, zappant les chaînes. « Tu n’y connais sûrement rien, petit pâtissier que tu es, mais ma famille est riche… et les convenances, chez nous, c’est quelque chose de très important. » Je ne lui ai pas dit que j’étais d’une famille noble française. Je ne vois pas l’intérêt qu’elle pourrait avoir à le savoir, alors je le garde pour moi. C’est très bien comme ça. Je lui lance un regard rapide avant de reporter mon regard sur la télévision. Finalement, elle se met debout et commence à faire les cent pas. « Le problème, c’est que je vais bientôt avoir vingt-cinq ans… et je ne suis toujours pas fiancé, je n’ai même pas de petit ami… » Je finis par éteindre la télévision, rien de bien intéressant n’y passe. Je finis mon cookies et tourne la tête vers Belle, la regardant avec une grande lassitude. « Et en quoi ça me concerne, exactement ? » Elle lève les bras au ciel et continue à arpenter la pièce. « Le mariage de ma cousine approche et il faut absolument que je sois accompagnée, il faut absolument que je présente un fiancé ! Et il faut que tu m’aides ! Tu… tu dois bien savoir te tenir en société… tu ne dois pas être trop mal dans un costume… » Je lâche un grand éclat de rire et me lève soudainement, allant dans la cuisine. Il faudrait que je range mon bordel. « Hors de question, Belle. Je ne me ferais certainement pas passé pour ton fiancé auprès de tes bourges. Tu te démerdes ! » Elle sautille sur place comme une enfant capricieuse et me suis, s’asseyant sur l’un des tabourets du bar. « Adam, je t’en prie ! S’il te plait ! Tu es le seul mec plutôt sexy qui puisse être capable de prétendre être sociable. » J’ouvre le robinet et commence à faire la vaisselle après avoir lancé un regard à la brune. « J’ai dit non, Belle. M’immiscer dans un univers de bourges, sans façons ! Tu devrais bien pouvoir trouver un abruti qui fera l’affaire ! Ce n’est pas un rôle foncièrement compliqué. » Je regarde Belle qui reste silencieuse, me fixant depuis plusieurs minutes. Elle doit réfléchir à un moyen de me soudoyer. Je lui souhaite bonne chance. Au bout d’un moment, elle pose ses coudes sur le comptoir, le menton dans ses mains. « Adam… s’il te plait… t’es le seul mec potable que je connaisse. » Je m’appuie, bras tendus, sur le rebord de l’évier et me penche vers elle. « Non. » Pour l’emmerder, j’aime bien parler français. Même si elle commence à comprendre certains mots, maintenant. C’a tout de même le don de l’énerver. Comme pour confirmer cela, elle se rebiffe et pointe un doigt accusateur sur moi. « Tu me dois un service, je te rappelle, la Bête ! » Elle a pris l’habitude de m’appeler comme ça depuis qu’elle m’a surpris en train de regarder le dessin animé. Je ne sais pas ce qui la fait rire. Après tout, elle a le prénom de la princesse, ce n’est pas franchement mieux. Et moi, le prénom de la Bête, ouais, je sais. « Ah oui ? Je te dois un service ? Et puis-je savoir lequel de service ? » Lentement, elle se lève et se dirige vers moi, sautillante. Une vraie gamine. « La première fois que nous nous sommes rencontrés, tu étais venu m’emprunter du sucre pour tes trucs, là… et tu ne me l’as jamais rendu. » À la fin de son petit manège, elle se trouve en face de moi, sur la pointe des pieds, un grand sourire sur les lèvres. « Genre, tu te souviens de ça… » Je la regarde de haut en bas, un sourcil levé. « Aller, Adam, je t’en prie. Ça pourrait même être marrant… on pourra se foutre de la gueule de ma famille. » Elle me fait une petite moue, je continue de la regarder, perplexe. Sérieusement, je me passerais bien de retourner dans cet univers de coincé que je n’ai eu aucun regret à quitter. Au bout d’un instant, je lâche un soupir et lance ma tête en arrière. « D’accord, ok, je vais le faire ton truc. Mais je te préviens que tu me le paieras… et surtout j’espère que je n’aurais pas à t’embrasser… Brrr. Ça me fait déjà cauchemarder. » Elle fait une mine méprisante, me frappant le bras de sa petite force et prend un cookie avant de tourner les talons, se dirigeant vers la porte de mon appartement. « Je te redirais la date, il faut que je te briefe avant, de toute façon. Et smoking obligatoire alors tu te trouves un truc convenable ! » Sur ce, elle quitte l’appartement en claquant la porte – sa marque de fabrique – et me laisse là, perplexe sur le pourquoi j’ai accepté de faire ça.